Ce matin, le rouge-gorge a réussit à dépasser sa peur et sa gène en s’accrochant à cette boule de graisse. C’est une victoire sur lui-même, sûr, qu’il va pouvoir passer à l’étape suivante de sa thérapie.

A moins, bien sûr, que maintenant il se prenne pour une mésange.

Les corvidés ont la réputation d’être doué d’inférence cognitive. Par exemple tordre une brindille pour en faire un outil bien adapté plutôt que de perdre du temps à en chercher d’autres ou utiliser le flot de la circulation pour casser des noix et attendre le feu rouge pour ramasser la nourriture. On a même vu une corneille appâter des poissons avec des morceaux de pain.   

Le truc qui m’impressionne le plus, moi,  chez la corneille, c’est la facilité avec laquelle elle se fait passer pour un corbeau.

– Il a pas l’air de bonne humeur le père !

– Tu crois que cela a un rapport avec mon idée de cadeau de bonnet ? 

Seule.

Contrairement aux mésanges, le rouge-gorge ne s’accroche pas à la boule de graine.
Possible qu’il ne sache pas faire.
Peut être que d’être balancé et suspendu la tête en bas finit par le faire vomir.
A moins qu’il ne s’agisse simplement que d’un peu d’appréhension à cause de son léger embonpoint. Ou la peur du ridicule. Le rouge-gorge doit être le genre d’oiseau à faire des cauchemars où il se voit les pattes emberlificotées dans les mailles de plastiques, incapable de s’enfuir, cédant à la panique, devant un pare terre de mésanges amusées.
Alors il attend que tout le monde soit parti et il s’élance. Il part à fond, il faut pas mal d’énergie pour réussir un vol stationnaire de quelques secondes qui lui rapportera au mieux quelques miettes.  Vraiment frustrant.

Il finira par les haïr les mésanges. Ou les idolâtrer. Une chance sur deux.

– Qu’est-ce que cela t’inspire ?

– “Une partie des larmes s’évapore, le reste s’écoule en passant par le lac lacrymal. Lorsque celui-ci est plein, le surplus s’écoule et inonde les joues”.

– Oh oh ! Rien de tel qu’une feuille pour réveiller son penchant midinette !

– Pffff ! N’importe quoi…

Si depuis la terrasse, on jette un œil à la boule de graisse suspendue sur la branche du tilleul, on y voit accrochée une mésange bleue, mais si on va faire un tour, pour  chercher quelque chose de plus chaud à se mettre sur le dos car les températures sont vraiment en chute libre,  de bleue,  elle s’est transformée en mésange charbonnière.

C’est un peu comme boire une bière avec Don Diego de la Vega à Los Angeles, cligner des yeux et se retrouver devant Zorro portant chapeau et grand masque noir.

Elle a débouché de derrière la feuille elle a peut être cru à une prise dans sa toile tissée entre deux feuilles.

Elle était installée à l’ombre à rêver de ce que serait son prochain repas. Perdue dans ses songes, à  passer en revue les différents spécimens possibles d’insectes comme s’il s’agissait de parcourir la carte d’un restaurant illustrées. A l’air que j’ai déplacé, elle a du me prendre pour le garçon qui s’amène pour prendre la commande ou servir l’entrée, alors elle a laissé les images derrière la feuille pour vérifier ce qui pouvait se trouver posé sur sa toile-nappe.  Mais elle n’a vu que moi qui ne ressemble pas, mais alors pas du tout, à un serveur dans cet anorak vert.

Ce matin, activité :

Je joue à “Ahhh, je suis collé au papier tue mouche !!” 

Elle me guète. Si je me déplace vers la droite, elle change de position sur la feuille pour que je reste toujours dans son champ de vision. Je ne me laisse pas intimider. “Loup” parce qu’elles vivent en meute ?

Je rassemble plus loin les feuilles du ginkgo et ce nouveau tas, je le charge sur le premier. Elle ne bouge toujours pas, les araignées ont du se passer le mot, il faut se méfier de moi.