C’est la soif qui m’a fait penser la première fois à la barrière infra rouge.
Une soif qui venait de je ne sais d’où, pas de la chaleur, pas d’avoir repeint une fenêtre ou une porte, pas d’avoir soulevé de terre quelque chose d’énorme.
La soif d’un vin frais, d’un vin d’Alsace suffisamment sucré et sec, un liquide magnifique dans un verre ballon. Mais il était tôt et puis j’étais seul et cela venait d’où cette envie de boire seul à 9h00 le matin ? N’y avait il pas mieux à faire ? Ne devais-je pas éprouver une quelconque honte ?
Pour avoir une chance de boire, il fallait donc que je fasse quelque chose d’important, voir d’exceptionnelle et l’idée de la barrière infra rouge est apparue.
J’allais simplement construire l’unique machine à photographier automatiquement les passereaux en vol. Ni plus ni moins. Équipée de visées laser, de détecteur par pression, de micro ultra sensible capable de repérer le moindre bruit de frottement d’ailes, d’anticiper le moindre changement de trajectoire d’être assez réactif pour figer un oiseau à plus de 50km/h grâce à des flash ultra rapides, des rayons infra rouge précis et incontournables. Mes photos me rendront célèbre, je gagnerai le prix de Montier-En-Der, j’exposerai à New York, dans les pays où il n’y a pas de rouge gorge.
Puis viendra le jour ou un type plus curieux qu’un autre découvrira que mes photos sont le résultat d’un mécanisme électronique, d’une machine sans vie, d’un automate et criera partout au scandale, mettra en évidence la trahison face au dogme, de l’art et de la pureté qui anime les photographes animaliers. On commencera à rire de moi, mon nom deviendra un synonyme à canular, on inventera n’importe quoi, que mes sujets sont des oiseaux drogués, voir, pourquoi pas, empaillés.
Mes photos seront brûlées, je perdrai tout et je pourrai alors, enfin, sereinement, m’envoyer un verre de blanc au levé sans que personne n’y trouve rien à dire.