Il suffisait de brosser le tronc, de le débarrasser de la mousse et de la poussière pour qu’il prenne du relief, pour que sa structure complexe et tourmentée dessinée au fil des ans refasse surface au milieu du jardin. Je ne sais pas quel âge il peut avoir, personne ne s’est posé la question. Il est moins haut que le if, mais plus épais, plus creusé. Les marques des coupes franches de tailles d’hiver forment des cercles noircis, des boursouflures comme des cicatrices à différentes hauteurs, au fil des années. Une peau couvertes de rides, de lignes de vies.
Articles de » avril, 2012 «
– Ben dites moi, faut pas vous fatiguer vous !
– Et oh, doucement j’ai fini mon travail moi, je peux m’accorder une petite pause saucisson. Là tel que vous me voyez, je viens de finir de recenser les vers de terre de tout le jardin.
– Par ce qu’on vous a demandé de recenser les asticots du jardin ?!
– Ben, en fait, non, pas vraiment. C’était plutôt rapport au piafs, mais vous voyez, ça bouge tous le temps les trucs à plume, ils se ressemblent tous, alors je me suis dit, autant faire un truc plus facile.
– Car pour vous, recenser les vers de terre c’est plus simple ?!
– Ah, ben bien sur pas pour le premier glandu forcement, mais pour qui sait se servir d’un peu de sa tête… Je vous explique, le principe, vous m’arrêtez si cela va trop vite : Vous prenez une petite parcelle bien délimitée, vous compter le nombre de bestiaux que vous y trouvez, vous voyez ? Ensuite vous multipliez le nombre par le nombre de parcelles de cette taille que le jardin peut contenir, et hop vous l’avez votre recensement. C’est mathématique.
– Dites, c’est pas idiot. Et là vous savez combien vous en avez de votre parcelle sur ce terrain ?
– Ben non, c’est plus la peine.
– Ah vous trouvez aussi une technique pour compter le nombre de parcelle ?
– Non, j’ai pas eu besoin. Je dois vous dire que là sur le petit bout de terre, j’avais compté deux asticots. Et puis, je sais pas, je me suis laissé distraire, j’ai fait un truc dans un coin et pendant ce temps un merle et une grive me les ont bouffé, les deux.
– Et alors ?
– Ben je vous l’ai dit, c’est mathématique. C’est le principe de la multiplication. À partir du moment où dans ma parcelle il y a zéro vers de terre, quoique l’on fasse, on ne trouvera aucun vers de terre dans le jardin. Règle de base de la multiplication mon vieux.
– Ah oui, effectivement. C’est mathématique.
Le thème était approprié, on ne pouvait pas mieux tomber.
La pluie qui est tombé toute la semaine guidait mes pensées du côté des escargots, des capuches, des parapluies, des chapeaux, du temps qui a du mal à passer, des larmes lourdes et silencieuses.
Il est arrivé que la pluie cesse quelques minutes. Qu’elle nous accorde le temps de mettre nos chaussures, d’arriver jusqu’à la haie. Une fois même, le soleil en profitait pour faire une percée et tirer de cette atmosphère humide, cette lumière si particulière qui existe parfois juste après l’averse.
Selon par où l’on aborde le jardin, le cotinus peut être l’arbuste le plus éloigné et il ne faut pas trainer, laisser passer sa chance. On connait ses facilités à conserver les gouttes et à jouer par transparence avec les rayons de lumières, mais il ne faut pas tarder. C’est comme un jeu, un peu idiot sans doute, un peu enfantin.
Tim Keheo à mis près de 11 ans à mettre au point des bulles de savon colorées, sans acide nitrique qui bouffe les vêtements, sans teinture indélébile même sur la peau. Quelque chose de révolutionnaire à base d’un colorant dont le noyau lactone est instable et qui disparait au moindre frottement. Je ne sais pas si cela se trouve en France.
Rien à voir avec cette bulle, là, celle-ci, qui se ballade dans la cave, dont il faut faire attention,
qu’il vaut mieux éviter,
et s’éloigner avant qu’elle n’éclate,
qu’il y en ai partout.
Même par beau temps comme celui-ci, tu peux sortir avec tout ton matériel pour photographier les oiseaux et ne pas en voir la queue d’un.
Ils sont là pourtant, on peut parfaitement les entendre. Ce n’est pas rare, bien au contraire.
Et puis il y a des jours où tu ne prévois rien, tu traines en chaussons, tu aides un peu à la cuisine, et par les fenêtres tu aperçois un geai, un verdier se baigner, une paire de pinsons et un couple de chardonnerets. Des oiseaux que tu n’osais plus espérer voir ici, qu’il semble encore moins probable de photographier sur le magnolia.
Heureusement, il y a quelques mois, tu avais eu l’occasion d’approcher un nid, dans un autre jardin qui sait cultiver ses chardons, pas très loin, pas vraiment à la même époque. C’est tricher, mais c’est déjà bien de le reconnaitre, c’est avouer que l’on n’aura pas la patience d’attendre une autre occasion car c’est aussi que bon, tu te fais plus vieux.
Tu peut toujours sortir, vers le soir, un peu avant la pluie, au cas où. Pour surprendre les couleurs du pinson en vol, ce n’est pas exclu.
Sa technique est toujours la même, obstinée. Se percher sur un toit, attendre, hésiter et puis tenter de nouveau sa chance peut être par une ouverture des plus hautes branches. Mais l’autre est là, toujours. Il guette, caché derrière le rideau touffu, on pourrait croire qu’il est parti ou qu’il dort, mais sa présence ne fait aucun doute, il ne lâche pas la garde, il est tout aussi déterminé, et à gros coups de bec, d’ailes de pattes il fait dégager l’autre, sans lui laisser le temps d’espérer. Je ne sais pas ce qu’il se cache dans l’arbre, mais on ne partage pas, on est prêt à tuer pour certaines choses. Le premier bat en retraite, retrouve son toit, souffle un peu et attend encore.
Je ne crois pas en ses chances, même à l’usure, il semble partir de loin, il semble plus faible. Cela dure toute la matinée, après je ne sais pas, je ne suis plus là.