Parfois au long de ma journée, il m’arrive de sentir que mes démons familiers me laissent quelque répit. Je m’assieds ; je rêve avec béatitude et sans objet. Je ne pense à rien. C’est ça : Je pense mais je ne pense à rien. Je suis presque absent de moi-même. Alors, venu du fond de ma mémoire, un petit souvenir inconnu apparaît. Il approche avec précaution, comme un oiseau, il est farouche et sautillant mais si je veux le saisir, il s’envole ne laissant qu’un léger courant d’air.

En ouvrant “Les livres du bonheur” de Georges Duhamel, que j’ai fait aller chercher au fond de la réserve de la bibliothèque municipale, je fus surpris par les rumeurs,  les odeurs et les couleurs qu’il contenait, par la force avec laquelle tout m’a sauté à la figure. Portées à la fois par le contenu des phrases légères, fines et tendres mais aussi par les bouts de ma mémoire que j’avais laissé accrochés à ce livre, des années auparavant. Un réveil inattendu de parfums, de musique et de décors. 

Ouvrir un livre, même dans une édition plus récente et se sentir bousculé, balloté jusqu’au salon d’un appartement d’Auxerre au siècle dernier.

Je n’ai pas encore retrouvé le passage sur les fourmis et le pot de confiture. Mais en savourant chaque page et je ne le manquerai pas. 

…passionnément,                 à la folie,                        etc…       

Dans le livre du bonheur (il y en a plusieurs, ne me demandez pas lequel), je me souviens de la description minutieuse du travail d’une colonne de fourmi s’attaquant à un pot de miel ou de confiture. De ce livre je n’ai retenu que ce passage qui m’a étrangement marqué et influencé bien des années plus tard. Pour nouvelle preuve, le temps passé à suivre cette fourmi au milieu d’une gueule de loup, sans trop comprendre le sens de ces allers et retour entre le cœur et les feuilles. On peut sans doute exclure l’admiration de naviguer au milieu d’un tel spectacle même si je ne suis pas certains que nous ne soyons les seuls êtres un peu sensibles à la beauté de ce qui nous entoure.

Une fourmi contemplative cela n’existe pas ?

J’ai vu des grues la semaine dernière. Très brièvement.
Je les ai d’abord entendues puis en levant les yeux j’ai vues deux masses sombres avec ce cou long et fin si particulier.
Elles semblaient avoir des mots à 100 mètres du sol, en se dirigeant vers le nord.
Le voyage n’a pas du être simple depuis l’Afrique, peut être un problème suite à un itinéraire bis, un raccourci jamais trouvé, quelque chose pour expliquer les deux mois de retard… Bref, de quoi provoquer une belle engueulade chez n’importe quel couple. 
Certains, sceptiques, ont supposé qu’il s’agissait de canards, mais je sais reconnaitre des canards.
Et par ailleurs les canards hibernent aussi, en hiver, laissant les lacs gelés aux jeunes patineurs, mais quand ils rentrent, ils se font plus discrets, on en fait pas tout un foin.

C’est la période du nourrissage. On entend partout, depuis les arbres, les poteaux, les toits ou les fils électriques, les cris des oiseaux communiquant avec leurs progénitures, le mâle ou la femelle. C’est un excellent exercice pour s’entrainer à distinguer le chant du rouge queue, de la mésange, du zizi, de la linotte, du verdier ou du moineau (qui lui, piaille tout le temps de toute façon).
Personnellement j’ai tellement travaillé mon oreille, que depuis peu, je suis capable de décrypter la conversation entre certains oiseaux. Hier, par exemple, une mère rouge queue perchée sur un fil tout prés de moi, chantait à ses rejetons qui devaient être tout proche, ces propos qui me semblaient limpides : « Oui mes amours, un peu de patience, dés que le bouffon avec son appareil photo me laissera assez d’espace, je viens vous apporter cet énorme asticot. » Pas mal non ? Et notez qu’elle avait la bouche pleine.

Depuis leur rencontre fusionnelle sur le fil électrique, Pedro et Rosa filaient le parfait amour, enfin c’est ce que croyait Pedro. Maintenant il n’est plus sur de rien, il ne sait comment interpréter la froide distance que lui impose sa bien aimée depuis quelques jours, cette façon de l’éviter, de lui parler comme s’il n’était qu’un vulgaire passereau. Rosa aurait-elle quelqu’un d’autre dans sa vie, aurait-elle découvert des choses sur le passé douteux de son amant ?

De son côté, Teddy qui s’est débarrassé de son rival à grand coup de bec, s’est rapproché de Maggie qui ne reste pas insensible au charme de ce beau gosse capable de repousser les prétendants les plus téméraires, de roucouler pendant des heures sous sa branche. Trouveras t’elle en lui, le mâle idéal pour construire la famille dont elle rêve tant ?