Je suis rentré dans la cuisine ce vendredi soir avec l’impression de déranger, de m’être trompé de porte et j’ai failli faire demi tour. Le sol était traversé dans sa diagonale par une bande noire fine et mouvante, quelque chose de nouveau et de vivant.
C’est une année à fourmis, tout le monde vous le dira. Nous en avions déjà repérée dans la véranda, dans les pivoines, dans le meuble à chaussures. On m’avait parlé d’invasion, j’avais écouté horrifié le descriptif de pièges sadiques pour condamner une fourmilière trop envahissante et à M. on en trouve sur les assiettes lorsque l’on mange à l’intérieur.
Là, elles avaient formé une colonne, capable en franchissant certains obstacles, en contournant d’autres d’arriver au pied du placard de victuailles. Elles l’escaladaient par le côté jusqu’à la hauteur des sucreries, s’infiltraient dans l’espace entre la porte et le corps du meuble, avançaient sur l’étagère pour attraper un morceau et le ramener à la communauté. Pour ne pas gêner la chaine des suivantes, elles ressortaient du côté de la niche du meuble, sous le micro onde, remontaient sur le plan de travail. Elles longeaient la forme en L jusqu’au frigo d’où elles descendaient pour rejoindre le carrelage. C’était un système en marche, organisé et efficace. Pour une fois, je me suis senti déçu par ces nouvelles portes fenêtres, et par ses joins qui devaient nous protéger de tout mais qui laissaient passer les fourmis.
Ma présence n’a pas affecté le processus, j’ai ouvert le placard pour vérifier les étages contaminés mais seul celui du milieu était traversé par les ramasseuses, l’huile et le vinaigre, plus bas, n’intéressaient personne.
Les vendredis soirs, nous avions connu l’inondation de la cave, les graffitis sur les murs, le portail amoché, alors nous pouvions tenter de repousser une invasion de fourmi, même si nous n’y étions pas préparés, même si les pizzas achetées sur la route refroidissaient.
Moins bien organisé, nous avons réussi à stopper l’invasion, en brisant la chaîne et essayé de colmater le passage sous la porte. Nous avons préféré manger sur la terrasse, la température s’y prêtait, laissant des centaines de fourmis paniquées à l’intérieur.
Elles étaient encore bien présentes le samedi soir, dans le placard, entre les plans de travail, sur le frigo. L’orage de la nuit et la pluie toute la journée nous ont aidés à limiter l’entrée de nouvelles arrivantes et avec un produit adapté appliqué sous la porte nous avons dissuadé les futures éclaireuses.
Le dimanche nous démontions les meubles de la cuisine. Entièrement.