Dans cette histoire le plus impressionnant n’aura pas été de choisir un endroit, de trouver les produits, de faire les mélanges et de se lancer dans des heures de tirage. Non, ce qui a était porteur d’une véritable pression c’est le geste de Gilbert. Cet acte d’abandon. Quand cet homme vous annonce qu’il va vous donner tout le matériel qui est chez lui, qu’il a acquis, étudié puis entreposé pendant des années en attendant d’avoir un peu de temps à y consacrer, tout cela vous fait comme un nœud à la gorge et vous procure une grande sensation de vertige. Vous temporisez, vous souriez, oui, on en reparlera, on verra, on a le temps et tu feras quoi de tout cet espace vide hein ?
Alors arrive un jour où il sonne à votre porte, l’agrandisseur et un tas de cartons dans le coffre et vous ne pouvez pas faire marche arrière. Tiens c’est pour toi, trouve une pièce aveugle où l’installer, tu verras il y a des papiers de toutes les tailles. Bien sûr on l’aide pour sortir tout cela, il y a des bassines, des entonnoirs, des pinces, des éprouvettes, des objets dont je ne connais ni le nom ni l’utilité et je comprends a son sourire, a son regard satisfait, qu’il s’est enfin débarrassé de quelque chose qui peut être le toisait depuis trop longtemps, depuis le début de la maladie.
Bien sûr j’ai toujours été sensible à la beauté des tirages noirs et blancs et au discours sur le côté organique d’une photo argentique mais mon univers de la photographie est très loin du tube à essai, des thermomètres et de la chambre noir. Même si j’ai entrepris de me servir d’un très vieux Semflex 6×6 (je ne suis même pas sûr que la pellicule soit bien positionnée) pour faire comme Vivian Maier, le développement pour moi consiste à ouvrir un fichier avec un ordinateur et à manipuler des curseurs. Il est là mon plaisir, il est simple, il est immédiat.
Alors se passe du temps, avec ce trésor au fond de la cave, tellement impressionnant que l’on évite de regarder les cartons qui restent posés sur le sol comme si tout ceci n’était que provisoire et pouvait très bien repartir illico dans une remise ou proposé à une brocante. Le déclencheur, la solution qui va permettre de se libérer, d’initier une démarche qui semble atteignable vient d’Internet : Faire du tirage papier à partir d’une photo projetée par un téléphone portable. On peut donc mélanger un peu les mondes, le numérique et l’argentique. Alors pourquoi pas. Je ne dis rien, je pèse le pour et le contre mais cela ne coute pas grand-chose d’essayer, l’occasion semble idéale.
Je profite d’un samedi après-midi parisien pour aller acheter du révélateur (je suis tellement peu à l’aise avec ce monde que j’ai failli repartir avec du révélateur pour film et non pour papier), du fixateur et du bain d’arrêt. Après cette première étape psychologique, il sera plus difficile de faire marche arrière et de tout envoyer promener. Il m’a fallu un week-end de plus pour calfeutrer la fenêtre de la pièce au fond de la cave avec du carton et un planche de contre-plaqué et installer la fameuse lumière rouge (rouge pour les profanes), disposer les bacs, les pinces, vérifier la température et positionner l’agrandisseur pour en démonter le projecteur d’origine. La semaine suivante j’ai sélectionné des clichés pour les installer sur la tablette. Voyager dans les années, imaginer les photos en noir et blanc et en retenir certaines c’est la première étape agréable. Les étapes suivantes ont bien sûr aussi leur dose de magie, l’apparition de l’image d’abord sous l’agrandisseur puis ensuite dans le bain révélateur et le rinçage dans l’évier après avoir remis la lumière. Mais ce que je préfère c’est utiliser mes mains pour jouer avec les ombres sur le papier pour éclaircir de façon subtile l’image à certains endroit. Passer sur les visages, suivre les courbes et peindre avec la lumière. Gilbert m’avait prévenu : C’est passionnant.
https://www.youtube.com/watch?v=qz2dC5MXjSY
Et les filles ont été curieuses. Elles sont descendues dans la cave pour venir voir. Je crois que c’est la première fois que mon activité les a fait revenir. Elles s’y sont même essayée seule, chacune choisissant la photo qu’elle voulait tirer.
Nous n’en sommes qu’au début, nous cherchons encore nos marques, nous notons tout sur un petit carnet, les temps de pause, le papier utilisé. C’est une première étape qui incite à passer à la suivante, le développement de pellicule qui pourra nous permettre de faire de grands tirages.
Laisser un commentaire