chrocus from Luciani Laurent on Vimeo.
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Ma chère Marie,
Te voici donc en Bretagne.
Je ne sais pas si tu as pu aller voir l’océan, si tu as pu te rapprocher des falaises voir un peu où tu étais.
Nous avons déjà parcouru ensemble la pointe du Groin, nous avons déjà longé la côte, au milieu de la bruyère, mais je ne pense pas que tu en ai gardé un quelconque souvenir, alors si tu en as l’occasion, n’hésite pas à bien regarder le paysage, j’aimerai que tu me rapportes tes impressions.
J’ai enfin pu voir dans le jardin tes tournesols, ils sont magnifiques.
J’espère que les fleurs tiendront jusqu’à ton retour, elles sont d’un jaune si vif qu’il est impossible de ne pas penser à toi dés que l’on met un pied dehors.
Elles semblent attirer un couple de chardonnerets, ce qui, je dois te l’avouer, augmente le plaisir de les regarder.
J’espère que de ton côté, tu ne t’attardes pas trop sur les photos que tu as glissées en cachette au fond de ta valise, qu’elles y sont restées et que tu as bien d’autres choses à faire et à penser.
Ce soir, dans le jardin, avec Marie, nous avons à tour de rôle photographié des pâquerettes.
Une fois centré, une fois pas centré, une fois centré, etc… Une fois dans le rayon de soleil, une fois sans le rayon de soleil, etc. En découvrant les photos plus tard, je suis surpris de trouver sur les siennes un insectes qui n’est pas présent sur les miennes.
Puis, nous avons joué à chat un moment, et encore à chat perché et pendant qu’elle hésitait à quitter son perchoir, que je commençais à trouver le temps long, j’ai suivi suivi des yeux, le vol d’une clytre au dessus de la pelouse qui se laisse de nouveau envahir par les pissenlits.
Lorsque nous sommes rentrés, déjà la nuit chassait la lumière d’un des premiers jours d’été, la comprimait par le bas pour la faire basculer de l’autre côté du monde, en équinoxe d’hiver.
Parfois au long de ma journée, il m’arrive de sentir que mes démons familiers me laissent quelque répit. Je m’assieds ; je rêve avec béatitude et sans objet. Je ne pense à rien. C’est ça : Je pense mais je ne pense à rien. Je suis presque absent de moi-même. Alors, venu du fond de ma mémoire, un petit souvenir inconnu apparaît. Il approche avec précaution, comme un oiseau, il est farouche et sautillant mais si je veux le saisir, il s’envole ne laissant qu’un léger courant d’air.
En ouvrant “Les livres du bonheur” de Georges Duhamel, que j’ai fait aller chercher au fond de la réserve de la bibliothèque municipale, je fus surpris par les rumeurs, les odeurs et les couleurs qu’il contenait, par la force avec laquelle tout m’a sauté à la figure. Portées à la fois par le contenu des phrases légères, fines et tendres mais aussi par les bouts de ma mémoire que j’avais laissé accrochés à ce livre, des années auparavant. Un réveil inattendu de parfums, de musique et de décors.
Ouvrir un livre, même dans une édition plus récente et se sentir bousculé, balloté jusqu’au salon d’un appartement d’Auxerre au siècle dernier.
Je n’ai pas encore retrouvé le passage sur les fourmis et le pot de confiture. Mais en savourant chaque page et je ne le manquerai pas.
Certains nous regardent avec étonnement lorsqu’ils nous entendent prononcer le mot “jaune”, en appuyant bien fort, en accentuant sur la syllabe du milieu, en formant un O avec la bouche en rond comme ça.
S’ils regardent mieux, en général, ils nous verront sourire brièvement, nous jeter un regard entendu.
Cela sent la private jocke, cela exclus un peu, mais on ne peut pas s’en empêcher. C’est plus fort que nous, ce mot nous lie à une partie de jeux de 7 familles, un soir de juillet avec Ania où l’on se moquait gentiment de son accent, où l’on était bien.
Pour comprendre, le mieux c’est de demander à une polonaise connaissant à peine quelques mots de français de prononcer la fameuse phrase “Dans la famille jaune, je demande la grand-mère”.
Si on demande à Manu (qui est étroitement lié à l’acquisition et à l’ornement de ce jardin) ce qu’il pense de cette nature qui avait pris un mois d’avance, qui sortait de terre sans se douter que le froid, le vent, la neige était tapis dans l’ombre, attendant patiemment son heure pour tout piéger, si on lui demande ce qu’il risque de se passer, le Manu il répond :
« Ben à mon avis, c’est pas compliqué, là, les cerises, on peut dire qu’elles sont déjà cueillies, comme qui dirait ».
C’est une expression qui me fait sourire tant je suis incapable de me projeter jusqu’au mois de juin, quand on en sera à les pleurer les cerises.
A la rentrée on reprend le latin.
Doucement j’espère,
en commençant par les noms de la première déclinaison,
du génitif singulier en -ae,
et du nominatif singulier en -a
Les fleurs d’été prennent la forme et les couleurs des rayons du soleil, des dunes de sables,
des vagues, des tissus légers dans le courant ou le vent, et aussi, sans trop se forcer, aux anémones de mer.